Le cerveau humain est capable de réaliser 10^16 opérations par seconde , ce qui en fait – de loin – le plus puissant des ordinateurs actuellement existants. Mais cela ne veut pas dire que notre cerveau n’a pas de grosses limites.

Le plus lent des ordinateurs peut faire des maths des centaines de fois plus efficacement que nous, et notre mémoire n’est souvent rien moins qu’inutile… et surtout, nous sommes la proie de biais cognitifs. Ces ennuyeux petits bugs dans notre pensée qui nous font prendre des décisions douteuses et atteindre des conclusions erronées.

Voici une douzaine parmi les plus communs et les plus pernicieux biais cognitifs dont vous devriez vous méfier.

Avant de commencer, il est important de faire la distinction entre biais cognitifs et logique fallacieuse/erronée/trompeuse. Une logique fallacieuse est une erreur dans une argumentation logique (par exemple une argumentation ad hominem, l’argument de la pente glissante, un argument circulaire, l’appel à l’ignorance, etc).

Un biais cognitif, d’un autre coté, est une véritable défectuosité (ou limitation) dans la façon dont nous pensons : une faille dans notre jugement qui naît d’erreurs de mémorisation, de stéréotypes ou d’erreurs de calculs (comme des erreurs statistiques ou une mauvaise appréhension des probabilités).

Certains psychologues sociaux pensent que nos biais cognitifs nous aident à traiter l’information plus efficacement, notamment dans le cas de situations dangereuses. Et partant de là, elles nous amènent à faire de graves erreurs.

Nous pouvons être sujets à de tels erreurs de raisonnement, mais au moins, nous sommes capables d’en être conscient si on les connaît.

En voici quelques uns à garder à l’esprit.

Le biais de confirmation :

Nous aimons être d’accord avec les gens qui sont d’accord avec nous. C’est pourquoi nous ne visitons que les sites web qui sont d’accord avec nos opinions politiques ou pourquoi nous sortons généralement en soirée avec des gens qui partagent nos goûts et nos visions du monde.

On tend à moins aller vers les gens, groupes et sources d’informations qui nous font nous sentir mal à l’aise en malmenant nos points de vue – ce que le psychologue Festinger appelle la dissonance cognitive.

Et c’est notre inclinaison à agir de la sorte qui mène au biais de confirmation : la façon – souvent inconsciente – que nous avons de ne nous souvenir que des perspectives qui nourrissent nos avis pré-existants et, dans le même temps, à ignorer (ou rabaisser) celles qui les menacent (peu importe qu’elles soient valides ou pas).

Et, paradoxalement, Internet n’a fait qu’aggraver cette tendance.

Le biais d’endogroupe :

En quelque sorte similaire au biais de confirmation, le biais d’endogroupe est une manifestation de notre tendance innée au tribalisme (NDT : l’endogroupe se définit en psychologie sociale comme  »le groupe auquel appartient l’individu  »).

Et, étrangement, une bonne partie de cet effet semble avoir à voir avec l’ocytocine – aussi appelée la « molécule de l’amour ».

Ce neurotransmetteur, alors qu’il nous aide à forger des liens plus forts et plus étroits avec les personnes appartenant à nos endogroupes, produit un effet exactement opposé à l’encontre de ceux qui n’en font pas partie. Il nous rend suspicieux, craintif et même dédaigneux.

Au final, le biais d’endogroupe nous fait surestimer les valeurs et capacités de nos proches, aux dépend des personnes que nous ne connaissons pas vraiment.

Le biais du parieur :

On appelle cela un biais mais il s’agit plutôt d’un bug dans notre façon de penser : nous avons tendance à accorder un poids trop important aux événement passés, en croyant qu’ils vont, en quelque sorte, influencer les résultats futurs.

L’exemple classique est le pile ou face : après avoir fait face disons 5 fois de suite, nous allons avoir tendance à penser qu’il y a plus de chances pour que le prochain tirage soit un pile – que le sort est maintenant « moins en faveur » d’un nouveau face.

Mais en réalité, les chances sont toujours de 50/50. Comme le disent les statisticiens, les résultats de chaque tirage sont statistiquement indépendants et la probabilité de l’un ou l’autre résultats est toujours d’un sur deux.

On ajoute souvent à cela, le biais d’attente positive – qui renforce souvent l’addiction au jeu. C’est le sentiment que notre chance va forcément tourner et que la bonne fortune est déjà en route.

Cela contribue aussi à l’illusion de la « bonne main », et c’est le même processus que nous avons lorsque nous entamons une nouvelle relation en nous disant qu’elle sera sûrement meilleure que les précédentes.

La rationalisation post-achat :

Vous vous rappelez la fois où vous avez acheté quelque-chose de totalement superflu, défectueux ou bien trop cher pour ce que c’était et que vous avez ensuite rationalisé cet achat à un point tel que vous vous êtes convaincu vous-même que c’était une bonne idée depuis le début ?

Oui, c’est la rationalisation post-achat en action : un genre de mécanisme livré en série qui nous fait nous sentir mieux après avoir pris des décisions pourries, et spécialement lorsque c’est le cas devant la caisse.

Également connu comme le Syndrome de Stockholm de l’Acheteur, c’est une façon de justifier inconsciemment son achat – notamment les plus chers.

Les psychologues sociaux disent qu’il s’enracine dans le principe d’engagement, notre désir psychologique de rester constant et d’éviter un état de dissonance cognitive.

La négligence des probabilités :

Bien peu d’entre nous ont un problème avec le fait de prendre sa voiture pour aller faire un tour, mais nous sommes nombreux à redouter de monter dans un avion pour grimper à 9.000 mètres.

Voler, d’une manière assez évidente, est quelque-chose d’assez peu naturel pour l’homme et qui semble relativement risqué.

Cependant, nous savons quasiment tous que la probabilité d’avoir un accident mortel en voiture est considérablement supérieure à celle de mourir dans un crash – mais notre cerveau ne va pas vous laisser vous en tirer si facilement avec cet argument à la logique pourtant claire (statistiquement, un américain a 1 chance sur 84 de décéder dans un accident de voiture et 1 sur 5.000 dans un accident d’avion – d’autres sources donnent même 1 sur 20.000).

C’est le même phénomène qui nous fait avoir bien plus peur de succomber à une attaque terroriste plutôt que d’autres causes bien plus probables comme un empoisonnement accidentel ou tomber dans les escaliers.

C’est ce que Cass Sunstein appelle la négligence des probabilités : notre inaptitude à évaluer correctement les risques et péril qui nous pousse à sur-évaluer le danger d’activités plutôt inoffensives tandis qu’elle nous fait sous-évaluer les périls d’autres qui le sont bien plus.

Le biais de sélection observationnel :

C’est lorsqu’on se met soudain à remarquer des choses que l’on ne notait pas plus que ça avant – et nous supposons de manière erronée que c’est parce que la fréquence de cette chose a augmenté.

Un des meilleurs exemples est ce qui arrive quand on achète une nouvelle voiture et que l’on se met inexplicablement à voir la même voiture absolument partout. Un effet similaire se produit avec les femmes enceintes qui remarquent tout à coup toutes les femmes enceintes qui les entourent.

Et cela peut être un mot, un nombre ou une chanson.

Ce n’est pas que ces choses apparaissent plus fréquemment, c’est que nous avons (pour une raison quelconque) sélectionné cet objet dans notre esprit et que nous y faisons plus attention.

Le problème est que la plupart des gens ne reconnaissent pas cela comme un biais d’observation et se mettent à croire que ces choses arrivent vraiment plus souvent – ce qui peut être assez déconcertant.

C’est également un biais cognitif qui contribue au sentiment que l’apparition de certains événements ne peut pas être une coïncidence (même si c’en est en fait une).

Le biais du statu quo :

En tant qu’humain, nous ressentons souvent de l’appréhension face au changement, ce qui nous mène à faire des choix qui garantissent que les choses restent les mêmes, ou changent aussi peu que possible.

Inutile de préciser que ce biais se ramifie partout, de la politique à l’économie et une des choses les plus pernicieuses dans ce biais est la supposition injustifiée qu’un autre choix serait moins rentable ou ferait empirer les choses.

Le biais du statu quo peut être résumé avec la maxime « si ça n’est pas cassé, ne le réparez pas » – un adage qui nourrit nos tendances conservatrices.

Et en fait, certains commentateurs pensent que c’est la raison pour laquelle les États-unis n’ont pas été capables de mettre en place un système universel de protection sociale en dépit du fait que la plupart des gens supportent l’idée de cette réforme.

NDT : à noter que ce bien s’applique à tout ce qui touche à l’organisation de notre quotidien et à nos habitudes, mais pas aux objets matériels eux-mêmes.

Le biais de négativité

Les gens font plus attention aux mauvaises nouvelles qu’aux bonnes – et ce n’est pas seulement parce-que nous sommes morbides. Les chercheurs en sociologie théorisent que c’est à mettre sur le compte de notre attention sélective et que, lorsqu’on nous propose un choix, nous percevons les choses négatives comme plus importantes ou significatives que les positives.

Nous avons aussi tendance à accorder plus de crédibilité aux mauvaises nouvelles, peut-être parce-que nous sommes soupçonneux (ou ennuyés) par les publications positives.

Sur un plan évolutif, privilégier les mauvaises nouvelles pourrait apporter un avantage adaptatif plus important encore que d’ignorer les bonnes nouvelles (par exemple, entre « les tigres à dents de sabres ont l’air plutôt pas sympa » et « les myrtilles se marient bien avec le miel » quelle est selon vous l’information la plus vitale à retenir ?).

Aujourd’hui, nous courons le risque de rester négatif en restant sourds aux vraies bonnes nouvelles. Steven Pinker, dans son livre « Les meilleurs aspects de notre nature : pourquoi la violence a décliné« , montre que le crime, la violence, la guerre et d’autres formes d’injustices sont en déclin constant. Et cependant la plupart des gens prétendraient plutôt que les choses vont de mal en pis – ce qui est un parfait exemple du biais de négativité au travail.

L’effet « foule »

Même si nous n’en sommes généralement pas conscients, nous aimons aller dans le sens de la foule. Quand les masses commencent à choisir un vainqueur ou un favori, nos cerveaux individualisés commencent à s’éteindre et entrent dans un genre de « pensée collective », voire d’esprit de ruche.

Mais ça n’a pas besoin d’être une très grande foule ou la lubie d’un pays entier; il peut s’agir d’un petit ensemble, comme une famille ou même un petit groupe de collègues de bureau.

L’effet foule est souvent ce qui conduit les comportements, les normes sociales et les mèmes à se propager au sein de groupes d’individus – et ce quels que soient les preuves ou les motivations les soutenant.

Voilà pourquoi les sondages d’options sont souvent diabolisés : ils peuvent modifier les perspectives des gens en fonction de ce qu’ils disent.

La majeure partie de ce biais serait due à notre désir inné de nous intégrer en nous conformant à la norme, comme cela a été si bien démontré par la célèbre expérience de Solomon Ash sur la conformité.

Le biais de projection

En tant qu’individus bloqués dans notre propre tête 24h/24 et 7 jours/7, il nous est souvent difficile de nous projeter en dehors des liens de notre propre conscience et de nos préférences. Nous avons tendance à supposer que la plupart des gens pensent comme nous — même si il n’y a pas de réelle justification pour ça.

Ce raccourci cognitif mène souvent à un effet collatéral appelé le biais du faux consensus où l’on tend à croire que non seulement les gens pensent comme nous, mais sont en plus d’accord avec ce que nous pensons.

C’est un biais qui nous fait surestimer notre typicité et notre normalité et supposer qu’un consensus existe sur des sujets où il n’y en a en fait peut-être pas.

De plus, ce biais peut aussi créer des situations où un groupe de radicaux à la marge vont supposer que nombre de personnes à l’extérieur de ce groupe d’accord avec leurs positions est bien plus grand qu’il ne l’est en réalité, ou dans la confiance exagérée que l’on peut avoir lorsqu’on prédit le gagnant d’une élection ou d’un match de sport.

Le biais du moment présent

Nous, les humains, avons beaucoup de mal à nous projeter dans l’avenir et à modifier nos attentes et comportements en conséquence. La plupart d’entre nous va préférer garder le plaisir pour le présent tout en laissant les choses pénibles pour plus tard.

C’est un biais qui est particulièrement problématique pour les économistes (notamment du fait de notre réticence à économiser tout en ne dépensant pas trop) et les praticiens de la santé.

Ainsi, une étude de 1998 a montré que, lorsqu’ils choisissaient leurs courses pour la semaine à venir, 74% des participants achetaient des fruits, alors qu’ils étaient 70% à choisir du chocolat si les courses étaient pour le jour même.

Le biais d’ancrage

Également connu comme le « piège à relativité » c’est la tendance que nous avons à comparer et mettre en rapport seulement un petit nombre d’items lors d’un choix. On l’appelle effet d’ancrage car nous avons tendance à nous fixer sur une valeur (ou un prix) qui va ensuite être comparée à tout le reste.

Un exemple classique : lorsqu’un objet est en solde dans un magasin, nous préférons voir le gain issu de la différence avec le prix initial plutôt qu’à la somme finale. C’est pourquoi certains restaurants présentent des entrées hors de prix suivis de plats principaux dont le prix est (apparemment) bien plus raisonnable.